By ISHIKAWA Michio
Le Japon est souvent perçu comme un petit pays insulaire de la région Asie-Pacifique. Sa superficie est de 378 000 km2, et si on excepte la Fédération de Russie, les seuls pays en Europe à être plus étendus que le Japon sont la France, l’Espagne et la Suède. Ce n’est donc pas du tout un petit pays. Les régions montagneuses représentent 61% de sa superficie. Les zones boisées couvrent les deux tiers du territoire - environ 250 000 km2, soit plus que la superficie de la Grande-Bretagne. Le Japon est ainsi un pays où les montagnes, les forêts et les ressources en eau sont abondantes.
Situé sur la Ceinture de feu du Pacifique, il est également l’un des pays au monde où l’activité volcanique est la plus importante. Les volcans constituent bien sûr une menace, mais ils ont aussi créé des paysages magnifiques tels que le Mont Fuji. Et l’activité volcanique a apporté un autre bienfait : les onsen, les sources chaudes naturelles. On dit qu’il y a environ 27 000 endroits dans l’ensemble du pays où l’eau chaude jaillit naturellement des entrailles de la terre. Les sites où l’on trouve des établissements hôteliers utilisant ces sources chaudes sont au nombre de 3000 environ. Dans le cas de l’Europe, on en dénombre une centaine en France et un peu plus de 200 en Italie. On peut dire que le Japon est le premier pays de sources chaudes naturelles au monde, loin devant la Turquie, les Etats-Unis ou encore la Chine.
A partir de ces conditions géographiques, les Japonais ont développé un culte de la nature particulier, considérant que tous les éléments de celle-ci - montagnes et rochers, forêts et grands arbres, rivières et eau - sont habités par des divinités (appelées kami en japonais). Cette eau chaude qui jaillit de la terre était en soi un phénomène surnaturel qui inspirait la crainte et le respect. Mais à force d’utiliser ces sources, les gens ont découvert l’aspect bien-être (le corps se réchauffe, la peau devient plus belle, etc.), et aussi les vertus thérapeutiques comme l’accélération de la guérison des blessures et de la disparition des douleurs. Le sentiment de gratitude et d’affection s’est renforcé, et la vénération des divinités qui protègent les sources chaudes (appelées Yu-no-kami en japonais) s’est développée.
A titre d’exemple de ce culte voué aux divinités Yu-no-kami dans les régions de sources chaudes, on peut citer le fait que le terme Tamatsukuri Yu-no-yashiro (sanctuaire de la source chaude de Tamatsukuri) était déjà cité dans l’ouvrage Izumo-no-kuni Fūdoki (rapport sur la province d’Izumo), qui date de 733, à l’époque de Nara. De même, dans le recueil de lois Engi-shiki, publié en 927, à l’époque Heian (époque où la capitale fut transférée à Kyōto), on trouve les mentions d’environ dix onsen-jinja (sanctuaires d’onsen) où étaient vénérées les divinités Yu-no-kami. L’érudit Masumi Sugae, qui sillonna les régions du nord du Tōhoku et de Hokkaidō il y a environ 250 ans, à l’époque d’Edo, a décrit en détail, et avec des illustrations, les divinités Yu-no-kami qui étaient vénérées dans de nombreuses régions de sources chaudes.
La photo gauche: Nasu-Yumoto Onsen shrine ⒸMichio ISHIKAWA
La photo droite: L'image d'Iwakura Onsen à l'époque d'Edo ⒸMichio ISHIKAWA
En fait, ces cultes voués à la nature et aux sources chaudes ne sont pas uniquement propres au Japon. On les retrouve par exemple chez les Celtes, qui peuplaient l’Europe antique. Les Celtes vénéraient la nature, qui nourrit la vie et apporte la fertilité, et considéraient les forêts, et en particulier les chênes, mais aussi les rochers et les sources (d’eau froide comme d’eau chaude), comme des lieux sacrés abritant des divinités, ainsi qu’on peut le voir dans la région du Puy en France. Pour eux, ces sources étaient habitées chacune par des déesses différentes, qui avaient le pouvoir de guérir les maladies, et ils leur faisaient des offrandes.
On a souvent tendance à considérer ces cultes de la nature et des onsen comme des croyances rustiques et primitives. Mais le fait de chérir et de protéger la nature et les sources chaudes ne crée pas de charge excessive sur l’environnement naturel ou les ressources en eau. En cette époque actuelle où la société toute entière réclame des “objectifs de développement durables” (ODD), il est possible de le considérer comme une attitude qui se relie à une utilisation durable des ressources. Au Japon, dans les régions de sources chaudes dotées d’une longue histoire, les onsen-jinja (sanctuaires d’onsen), avec leurs bâtiments en bois traditionnels, et les onsen-dera (temples d’onsen), qui protègent les sources chaudes sous l’égide du bouddhisme, contribuent à créer des sites pittoresques qui ne manquent pas de charmer le visiteur.
ⒸMichio ISHIKAWA Hosshô Onsen et le Mt. Kujû